88 Miles, retour vers le futur du jazz

par Yome NetSan @ 20 mai 2015

Mon fils est comme moi.
Depuis qu'il m'a vu jouer à Captain Toad Treasure Tracker et Super Mario 3D World et qu'il y a lui-même goûté, il ne parle plus que de ça à tout le monde. Il construit des niveaux en Clipo, fait des dessins et regarde des "Let's play" sur Youtube à tel point qu'il connait les niveaux par cœur avant même de les avoir atteint pour la première fois ! Il marche par "phases d'obsession" : avant ça c'était les trains, après les Lego et les Mixels et, dans une semaine, il aura oublié tout ça et sera parti sur autre chose.
C'est une sorte de monomanie passagère et ça m'énerve parce qu'il tient ça de moi.
[EDIT 2016 : j'avais raison, il est passé à Rayman (Origins et Legens) et Kirby]

 

Des kilomètres de lectures 

Depuis que j'ai emprunté l'édition anniversaire de Kind of Blue à la médiathèque de mon village fin mars, je suis moi-même reparti dans une période Miles Davis. Mais cette fois, histoire de faire les choses à fond, je me suis lancé dans la lecture de son autobiographie, ce que je voulais faire depuis des années.

Le livre est passionnant du début à la fin. Même si quelques sessions légendaires (comme justement celle de Kind of Blue) sont assez vite éludées, il passe en revu toute sa carrière avec une précision étonnante. Le ton et le style sont décontractés, comme si Miles était en train de nous raconter son histoire autour d'un verre. On remarque d'ailleurs assez vite ses expressions de langage récurrentes comme "shit", "it was bad" (pour dire que c'était très bien), "it was something else" et surtout les "motherfucker" (au moins un par page au début, moins à la fin... ou alors je me suis habitué). Je serais d'ailleurs curieux d'en parcourir une traduction française pour comparer. Cela s'explique car le livre a été retranscrit par Quincy Troupe à partir d'entretiens (des monologues ?) fait avec Miles.

On écoute donc le trompettiste nous raconter comment il a côtoyé tous les grands d'avant pour qui il était sideman (Charlie "Bird" Parker, Dizzy Gillespie...) et comment il a formé la plupart des grands d'après, ses sidemen devenus leaders et que l'on croise encore sur scène en 2015 (Herbie Hancock, Wayne Shorter, John McLaughlin, Marcus Miller).
Plus qu'un livre sur la musique, c'est aussi un témoignage très intéressant sur une époque (les clubs de jazz de la rue 52 de New York), un style de vie débridé (alcools, drogues, femmes), le tout saupoudré d'un racisme ambiant et permanent qui l'a rendu presque lui-même raciste dans l'autre sens, tellement il en voulait à tous les blancs. Et même si son point de vue sur les critiques, les politiques, la police et sur même l'histoire est souvent assez juste (comment peut-on dire que l'Amérique a été "découverte" alors que les Indiens y habitaient déjà ?), on sent bien qu'il est obstrué par une forte rancœur après des années et des années de racisme.

Quelle(s) aventure(s) !

 

Des miles de musiques

Parallèlement à la lecture, j'ai aussi écouté toute sa discographie, chronologiquement. On comprend mieux les évolutions de sa musique en les mettant en parallèle avec les différentes étapes de sa vie tumultueuse. J'ai écouté certains albums que je connaissais pourtant bien avec plus de compréhension qu'avant.

Cette évolution musicale est en elle-même un voyage fantastique. Passer du Be-Bop ultra-classique des années 40/50 au jazz modal des 60s, puis de la fusion/funk électrique des années 70 aux synthétiseurs typiques des années 80 en un peu plus d'un mois est renversant. A partir du milieu des années 70, il joue même du clavier sur scène pour diriger son groupe. On se rend compte qu'il était de chaque révolution musicale et le plus souvent qu'il en était à l'origine avec 5 ans d'avance.

Même le format des morceaux a évolué. Les premiers ne pouvaient pas durer plus de 3 minutes à cause des limitations des disques microsillons de l'époque. En effet, chaque enregistrement sortait très rapidement sur des 78 tours (format 10", soit 25 cm, entre ce que l'on appelle communément les 45 tours de 12 cm et les 33 tours de 30) puis était compilés des années plus tard sur 33 tours. Les solos ne pouvaient donc pas dépasser 2 ou 4 mesures et Miles et les autres solistes étaient très frustrés de ne pouvoir enregistrer le genre d'improvisations qu'ils jouaient chaque soir dans les clubs de l'époque. Mais à partir des années 60 et surtout dans les années 70, plus de barrière à l'improvisation.

Il a d'ailleurs sorti quelques double-albums ne contenant parfois qu'une seule piste de 20 à 30 minutes par face ! D'ailleurs, le double live In Concert que j'ai récemment acheté ne s'encombre même pas de titres et affiche simplement "Miles Davis in Concert" sur quatre faces, avec des durées allant de 18:12 à 25:23 !

Bien que connaissant déjà pas mal de choses, à peu prêt la moitié de ce qu'il a enregistré m'était encore étranger, principalement le tout début de sa carrière avec Charlie Parker et la toute fin dans les années 80. Etrangement, j'avais aussi zappé plusieurs perles comme Miles Ahead (avec un orchestre et les arrangements de Gil Evans), Seven Steps to Heaven (enregistré avec deux formations différentes), Miles in the Sky (qui entame la mutation vers le jazz-rock) ou Get up with It (avec un superbe morceau de 32 minutes en hommage à Duke Ellington, décédé cette année-là).

 

Je me suis aussi intéressé à la création de certains albums avec des morceaux issus de sessions d'enregistrement précédentes qui sortent bien plus tard. Ou des albums "studios" composés de bouts d'enregistrements de concert, dont des morceaux qui n'apparaitront en "version studio" que des années plus tard (ex : le morceau Honky Tonk, dont des extraits live composent en parti le morceau Sivad de Live-Evil en 72, mais dont la version studio, enregistrée en 70 durant les sessions de Jack Johnson, n'apparait que dans Get up with it en 74 ! O_o).

Bien sûr, chacun aura ses préférences dans ces plus de 45 ans de carrière (1945 - 1991) et tout n'est pas forcément accessible à tout le monde dans cet immense catalogue. Sans vouloir paraître élitiste, il est évident que certains albums ne sont pas très faciles à appréhender... Personnellement, j'ai une préférence pour Kind of Blue ainsi que le début et la fin de la période électrique (In a Silent Way, Jack JohnsonBitches Brew, Agharta). Mais j'adore aussi les derniers albums enregistrés pour Prestige en 1956 (Cookin'Relaxin'Workin'Steamin') et ceux du Second Great Quintet de 1965 à 1968 comme E.S.P. et Filles de Kilimanjaro.

Son dernier album, Doo-Bop, sorti après sa mort, n'est même plus du jazz ou de la pop mais carrément du rap ! Qui sait ce qu'il aurait inventé s'il avait vécu plus longtemps ? Aurait-il pu concrétiser ses projets avec Prince ? Ce rendez-vous manqué rappel aussi celui qui n'a pas pu avoir lieu avec Jimi Hendrix en 1969 : le guitariste venait de mourrir...

 

Des miles d'anecdotes

Alors oui, j'ai écrit cet article en partant du postulat de départ que le lecteur saurait que Miles Davis était un trompettiste de jazz, peut-être le musicien le plus influent du XXème siècle. Mais il se trouve que la culture générale est différente pour tout le monde et on le constate tous les jours. J'ai ainsi été très surpris d'apprendre qu'un de mes collègues, pourtant un peu plus âgé que moi et d'allure assez bien cultivé, ne savait pas qui c'était ! Je ne juge pas, on ne peut pas forcément tout connaître, mais je n'arrive pas à comprendre comment l'on puisse ne même pas avoir entendu son nom... Par exemple, je me souviens de l'annonce de sa mort à la télévision alors que je ne le connaissais pas...

En 1970, juste après la sortie de Bitches Brew, son premier album de jazz-fusion, Miles Davis a commencé à jouer dans des salles de concerts généralement dédiées au rock. Ainsi, le fameux promoteur Bill Graham a réuni à plusieurs reprises dans ses Fillmore East et West (respectivement à New York et San Francisco) de bien belles affiches. Comme celle-ci où, quatre jours de suite, le quintet de Miles a fait la première partie des Grateful Dead !

Voici un très bon article sur ces concerts :
http://cryptdev.blogspot.fr/2011/06/miles-davis-and-dead-41070.html

 

Parmi la discographie sans fin de Miles Davis, il y a étrangement assez peu de musique de films. J'ai adoré celle de Siesta et je me suis logiquement intéressé au long métrage lui-même qui est plutôt pas mal. Il a aussi joué dans un film où il joue un peu son propre rôle, Dingo, après avoir fait quelques apparitions dans Miami Vice et Scrooged (avec Bill Murray).

 

On reste dans le cinéma avec Miles Ahead (le premier titre était Kill the Trumpet Player), un biopic que Don Cheadle essai de monter depuis des années en tant que réalisateur, scénariste, producteur et acteur principal. Il s'est même tourné vers de crowdfunding pour mener son projet à bien. Le tournage s'est déroulé pendant l'été 2014 pour une sortie prévue en 2015. J'ai hâte.

 

Enfin, et je reviens habillement d'une certaines façon au thème de mon introduction, saviez-vous que Kōji Kondō, compositeur des musiques de Super Mario Bros., était un fan de Miles Davis ? Et s'il ne l'est pas, il s'agit sûrement d'une des plus belles coïncidences musicales qui soit.
Ecoutez Calypso Frelimo (l'autre morceau de 32 minutes (?!) de Get Up with It) à partir de 10:10 :

 

Et maintenant ? Quelles seront, à mon fils et à moi, nos prochaines obsessions ? Je vois bien venir une période GTA avec le 5 sur PC et le livre Jacked de chez Pix'n Love.
Pour moi, einh !
Je vais essayer de laisser Eden au pays de Mario...

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